La confiance, un pari payant ? – 2e partie

Paroles d'expert

5 juin 2018

Voilà, le deal est conclu ! Dans un environnement intermédié et compétitif, vous avez gagné. Entre le dirigeant auquel vous êtes désormais associé  et vous, s’était installée une relation de confiance suffisante pour cette heureuse conclusion. Mais vous le savez, la confiance est chose fragile. Rôdent en coulisse des incertitudes, des doutes, prompts à occuper le devant de la scène. Mais même si elle reste fragile, la confiance se nourrit d’elle-même. C’est le cœur notre thèse : la confiance favorise des comportements positifs qui la renforcent en retour. La confiance de l’investisseur envers le dirigeant et son équipe a un impact sur la performance d’une participation (sur ces sujets, je vous invite à lire les travaux de Christophe Bonnet). La confiance est un pari. Qui peut rapporter gros, pour peu que l’investisseur la cultive et qu’il ait la main verte, mais surtout les bonnes techniques.

Faisons un détour par la psychologie sociale… Connaissez-vous l’effet Pygmalion?

Il a été mis en lumière par Robert Rosenthal et Lenore Jacobson (Pygmalion à l’école. L’attente du maître et le développement intellectuel des élèves, Paris, Casterman, 1971).

Les expériences de ces deux chercheurs nous l’ont révélé : vous êtes détenteurs de pouvoirs prodigieux, oui, vous.

Que faites-vous de ces pouvoirs ?

Sauriez-vous coacher un rat ?

Les résultats de la première expérience imaginée et conduite par Rosenthal sont stupéfiants. Après avoir séparé au hasard douze rats en deux populations de six individus, il a remis chacune de ces populations à un groupe d’étudiants (qui travaillaient sous son autorité). Leur mission : apprendre à leurs animaux à traverser un labyrinthe.

Au premier groupe d’étudiants, Rosenthal a affirmé que les six rats qu’il leur confiait avaient été sélectionnés d’une manière extrêmement sévère : on devait donc s’attendre à des résultats exceptionnels de la part de ces animaux pour apprendre à trouver leur chemin dans un labyrinthe.

Au deuxième groupe d’étudiants, Rosenthal a affirmé que les six rats dont ils auraient la charge n’avaient rien d’exceptionnel et que, pour des raisons génétiques, il est probable que ces rats auraient du mal à s’en sortir.

Les résultats confirmèrent très largement les prédictions pourtant arbitraires formulées par Rosenthal : les rats prétendus intelligents affichèrent des performances très supérieures à celles des autres. Certains rats du deuxième groupe ne quittèrent même pas la ligne de départ !

Les rats choisis au hasard, mais que les étudiants croyaient intelligents étaient devenus intelligents ! Et les rats que les étudiants pensaient médiocres devenus bêtes ! Stupéfiant, non ?

« Quand les expérimentateurs étaient invités à croire que leurs animaux étaient génétiquement inférieurs, les performances de ceux-ci se révélaient plutôt médiocres. Au contraire, quand ils étaient induits à croire que leurs animaux étaient mieux doués, ces derniers donnaient des résultats supérieurs. Bien entendu, dans la réalité, il n’y avait pas de différence génétique entre les animaux soi-disant médiocres ou brillants. Si des animaux considérés comme plus brillants par leurs dresseurs devenaient effectivement plus brillants grâce aux préjugés favorables de ceux-ci, cela pouvait être vrai aussi pour les écoliers » (Rosenthal).

Cette dernière hypothèse, Rosenthal évidemment s’empressa de la tester.

Les enfants prometteurs ne déçoivent pas

L’expérience est célèbre.

En bref, il fit passer un test d’intelligence aux 600 élèves d’une école (Oak School, une école publique élémentaire d’un quartier populaire). « Ce test fut présenté aux maîtres comme étant susceptible de prédire “l’épanouissement” ou “le démarrage” intellectuel des élèves […]. On donna à chacun des dix-huit maîtres des six classes le nom des enfants qui, dans leur classe, feraient montre d’un développement intellectuel spectaculaire dans l’année en cours. Ces prédictions avaient prétendument pour base les scores obtenus par les enfants distingués par le test de “l’épanouissement” scolaire. Environ 20 % des enfants de Oak School étaient de soi-disant “démarreurs” en puissance. En fait, pour chaque classe, les noms de ces enfants avaient été tirés au sort. La différence entre les enfants des deux groupes n’existait ainsi que dans l’esprit du maître ».

La suite, vous l’avez devinée, n’est-ce pas ?

Les enfants pourtant tirés au sort dont on avait dit aux maîtres qu’ils « feraient montre d’un développement intellectuel spectaculaire dans l’année en cours » devinrent… plus intelligents ! On l’a mesuré. Au bout d’un semestre, on fit en effet repasser le même test de Q.I. à tous les enfants. Parmi ceux dont on avait dit aux maîtres qu’ils avaient un haut potentiel intellectuel, 47 % avaient gagné vingt points et plus au test de Q.I. (contre seulement 19 % pour les autres).

Vos prodigieux pouvoirs

Les résultats de ces expériences n’auraient pas étonné Marcel Pagnol. « Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève, il le devint véritablement : pour que les gens méritent notre confiance, il faut commencer par la leur donner » (Marcel Pagnol, Le temps des amours). Et pas plus surpris Alain. « Si je crois que l’enfant que j’instruis est incapable d’apprendre, cette croyance écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide ; au contraire, ma confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que j’aime, des vertus qu’elle n’a point ; mais si elle sait que je crois en elle, elle les aura. Plus ou moins ; mais il faut essayer ; il faut croire » (Alain, Propos d’un normand, 1952). Alors, si un conteur provençal et un philosophe normand sont d’accord…

Alain emploie deux mots qui disent beaucoup des mécanismes sous-jacents à l’effet Pygmalion, « ma confiance et mon attente ».

Pour comprendre comment des rats en qui on croyait avaient pu se montrer plus intelligents, Rosenthal n’a pas observé les rats, mais les étudiants-expérimentateurs. Il nota rapidement que ces derniers se montraient plus attentifs, plus empathiques avec les rats prétendus plus doués. Les maîtres aussi vis-à-vis des enfants. « C’est peut-être, dès lors, sur le maître qu’il nous faudrait surtout concentrer nos recherches. Si nous pouvions savoir comment il est susceptible de provoquer une amélioration substantielle de la compétence de ses élèves sans changer ouvertement ses méthodes d’enseignement, nous serions en mesure d’enseigner à d’autres maîtres comment en faire autant ». Non seulement à d’autres maîtres, mais à tous ceux, managers, coach, investisseurs aussi, qui espèrent une meilleure performance de ceux qui les entourent.

Démontons les mécanismes de l’effet Pygmalion.

Remémorez-vous les propos d’Alain : ma confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme… Vous avez une attente vis-à-vis d’une personne (vous la croyez prometteuse ou non). À votre insu le plus souvent, vous agissez envers cette personne en fonction de vos attentes (comme les étudiants vis-à-vis des rats). Les comportements, attitudes et performances de la personne porteuse de vos attentes sont affectés par vos propres comportements et attitudes, et dans le sens de vos attentes. En retour, ces dernières sont renforcées. Vous avez bien eu raison de lui faire confiance… « Il peut y avoir ici un processus cyclique avantageux, commente Rosenthal. Les maîtres peuvent non seulement obtenir davantage quand ils espèrent davantage, mais aussi espérer plus quand ils obtiennent plus ». Un cercle vertueux… On parle de prophéties autoréalisatrices : le simple fait de croire une chose à venir augmente les probabilités que cette chose se réalise. Un exemple : si “le marché” est convaincu qu’un titre va baisser, les comportements des investisseurs font qu’il baissera… et que la prédiction se réalisera… Ainsi la confiance se nourrit-elle d’elle-même. Et ainsi disposez-vous de pouvoirs prodigieux, même de rendre vos interlocuteurs plus intelligents et performants – et à peu de frais encore !

Usez de vos prodigieux pouvoirs

Vous l’avez compris, vous disposez du pouvoir de rendre vos interlocuteurs meilleurs. Vous reste à en maîtriser de mieux en mieux l’usage.

Selon qu’ils croyaient ou non aux potentiels de leurs rats, les étudiants de Rosenthal avaient des comportements différents. La confiance est un sentiment et comme tel elle ne se commande pas. Mais si on ne peut pas s’obliger à avoir pleinement confiance en quelqu’un, on peut décider de traiter un interlocuteur comme une personne digne de confiance (Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en bon élève…), et donc d’adopter avec lui les comportements conséquents…

Mais quels comportements ?

De nombreuses études se sont attachées à identifier les différences de comportements des enseignants selon qu’ils interagissent avec des élèves qu’ils croient à haut potentiel (confiance et attentes élevées) ou avec des élèves qu’ils croient médiocres (confiance et attentes faibles). Commentons quelques-unes de ces différences observées.

En premier lieu, les contenus proposés par les enseignants aux élèves « attentes élevées » apparaissent plus diversifiés et plus difficiles. Inversement, les enseignants auraient tendance à être moins exigeants avec les « attentes faibles ».

Comportez-vous avec votre interlocuteur comme si vous croyiez qu’il était doué d’une intelligence supérieure : entretenez-le de questions ou réflexions “exigeantes”, difficiles, diverses… évitez de vous dire que “ça lui passera par-dessus la tête”… Vous manifesterez ainsi considération et confiance. Il sera toujours temps, si nécessaire, de faire preuve de pédagogie et d’ajuster le niveau de vos propos.

Les enseignants posent plus de questions aux élèves réputés doués et leur laissent davantage de temps pour organiser leurs réponses. Inversement, les enseignants donnent plus rapidement les solutions aux « attentes faibles » ou leur posent des questions faciles. Ils acceptent ou utilisent plus facilement les idées des élèves qu’ils croient doués.

Ne donnez pas de réponses avant d’avoir posé des questions, des questions en nombre suffisant, et surtout des questions difficiles, sur des problèmes complexes, notamment stratégiques ou relatifs au RH… Stimulez de votre interlocuteur, ses capacités d’analyse… Laissez-lui le temps de développer ses idées, surtout si vous avez des objections, et aussi si vous avez le sentiment de connaître par cœur ce qu’il a à vous dire. Et plus que tout, prenez en considération ses idées, exprimez chaleureusement votre éventuel accord, raisonnez à partir d’elles, et adoptez-les chaque fois que possible (si leur application ne risque pas d’être significativement nuisible). Une chose à retenir : une moins bonne idée mise en œuvre par celui qui l’a conçue donnera bien plus de résultats qu’une meilleure idée mise en application par une personne qui se comportera en exécutant.

Le traitement différentiel concerne également les réactions des enseignants aux prestations des élèves. Les enseignants ont tendance à donner davantage de feed-back positifs aux élèves qu’ils estiment compétents, les encouragent plus et les critiquent moins. À l’inverse, les « attentes faibles » reçoivent globalement moins d’informations en rapport avec leurs performances, et plus sur leurs comportements.

Savoir exprimer fortement votre approbation, là est le grand secret de vos prodigieux pouvoirs, un secret tout bête n’est-ce pas ? Ce peut être à l’occasion d’un CS. Il vous appartient de veiller à donner un feed-back positif, à encourager les progrès ou les efforts, à critiquer le moins possible…

Mais ce qui vous préoccupe, ce sont vos insatisfactions – ce qui ne va pas, et qui doit changer. Et vous brûlez d’en faire état. Maîtrisez cette légitime impatience, ça vaut le coût puisque ce sont pour vous des points décisifs, et commencez par parler de points positifs. Votre interlocuteur se détendra, s’ouvrira. « Je vous remercie de votre ponctualité pour tout ce qui concerne le reporting. C’est important pour moi, très important de ne pas avoir à vous relancer, ni à me poser des questions parasites quand les dates programmées approchent ». Veillez à aborder suffisamment de points positifs et à en parler avec cœur, en vous impliquant, en utilisant le « je » pour dire combien ces points sont importants pour vous, personnellement… Ainsi s’installera un climat de confiance interpersonnelle. Votre interlocuteur se mettra en position d’écoute.

Et vous allez pouvoir aborder efficacement les points négatifs qui vous préoccupent – et que vous ne devez pas taire.

Mais pourquoi parler de points négatifs ? Pour être entendu, mieux vaut parler de points d’effort, de points forts (vous venez d’en faire état, et même l’éloge), de points forts et de points d’efforts. Vous pouvez parler des points faibles de façon… positive : tout simplement, en proposant des objectifs de progrès. La trame de l’échange ainsi structuré : « J’ai profondément apprécié […]. Je vous remercie donc. Et nous pourrions encore mieux faire. Notamment si nous développions dans nos reportings […] ».

Deux “petits trucs” étonnamment efficaces :

  1. Introduire la discussion sur les points d’effort par la conjonction “et” plutôt que par “mais” : il s’agit bien d’aller plus loin, d’additionner, et non de relativiser (mais) les bonnes pratiques et réussites de votre interlocuteur.
  2. Emploi du “nous” : il manifeste votre partenariat, votre solidarité dans l’effort pour un meilleur résultat. Nous gagnerons ou nous perdrons en équipe, ensemble.

Nous provoquons parfois, à notre insu, ce dont nous nous plaignons.

À chacun de nos échanges, mon interlocuteur se sent jugé, critiqué, évalué… J’aurai beau jeu alors de me plaindre qu’il espace nos rencontres, qu’il écourte les échanges, qu’il ne s’y implique pas, qu’il en limite le contenu, élude, escamote…

Évitons donc d’afficher notre suspicion. Évitons les attitudes et propos soupçonneux, les questions “policières”, les remarques tracassières… Pour éviter que nos interlocuteurs pratiquent l’esquive systématique, qu’ils restent sur la défensive, fuyants ou cachottiers, ne leur donnons pas à penser que nous cherchons systématiquement la faille, le défaut, le mensonge ou le manque… Montrons que nous sommes attentifs aux réussites, aux apports positifs… Osons l’approbation…

Les enseignants semblent mettre en place un climat plus chaleureux et plus rassurant avec les élèves « attentes élevées ». Ils leur sourient et les regardent plus souvent. Inversement, ils interagissent moins fréquemment avec les « attentes faibles », leur offrent moins d’indicateurs non verbaux de soutien, sont moins souriants et ont une intonation de voix moins chaleureuse et plus anxiogène.

On peut ici souligner l’importance du langage corporel, non verbal, comme le faisait Alain (« cette croyance écrite dans mes regards »), les regards donc, les sourires, la posture d’ouverture, d’attention…

Que rajouter ? Sinon qu’il peut être utile de savoir perdre un peu de temps, en réalité d’en investir, dans des moments de relations conviviales, moins utilitaristes… de se donner les moyens d’établir une relation “personnelle” soutenue… de se montrer attaché à l’“humanité” de votre interlocuteur (cf. notre première partie).

Alliée à fréquence des interactions économiques, des relations humaines soutenues génèrent un climat de confiance favorable, créent du lien, tissent une trame riche d’échanges d’informations et d’une profondeur d’analyse qui ne seraient pas possibles dans une pure relation fonctionnelle, seulement dans une relation d’hommes…

Mais si prodigieux soient-ils, vos pouvoirs ont leurs limites. En adoptant certaines des bonnes pratiques suggérées ici, vous serez capable de motiver un Dirigeant à exprimer au mieux ses potentiels, pas à les dépasser. Pygmalion lui-même n’y peut rien changer, vous ne ferez pas d’un âne un cheval de course, ni d’un rat un coursier royal !

Contactez-nous
shape
shape