La confiance, un pari payant – 1e partie

Paroles d'expert

23 mai 2018

Vous êtes capital-investisseur. Avant un investissement, pendant la phase d’étude et de négociation, vous devez vous assurer la confiance du dirigeant. Et ce n’est pas chose simple dans un environnement compétitif et intermédié. Cette confiance, vous l’obtiendrez rarement en la lui demandant, presque jamais. Si quelqu’un vous dit « n’aie pas peur, fais-moi confiance », votre réaction sera le plus souvent une réaction de défense, de défiance. Parfois à votre insu, vous aurez le sentiment que cette personne vous demande allégeance, qu’elle tente de prendre pouvoir sur vous et attente à votre autonomie de décision. Il est contre-productif d’enjoindre à un humain de nous faire confiance. C’est par nos comportements et nos attitudes que nous pouvons inspirer confiance. Quelles attitudes ? Quels comportements ?
Vous trouverez ci-dessous quelques réflexions issues de notre pratique.

C’est un paradoxe, la confiance implique le doute. Si maladroitement, je dis à quelqu’un « tu peux me faire confiance », c’est bien que je devine son esprit encombré de doutes sur mes comportements futurs. De fait, parce que c’est une transaction éminemment complexe et qui ne peut se réduire à ses dimensions juridiques et comptables, tout investissement, si rationalisé soit-il, comporte une zone irréductible d’incertitude, des doutes donc. Entre investisseurs d’une part et managers ou dirigeants de l’autre, la bonne fin de la transaction suppose un pari : une confiance réciproque. Ainsi la confiance est-elle un préalable à une décision positive. L’investisseur soucieux d’aboutir doit travailler à inspirer la confiance. Plus tard, après l’investissement, il devra encore œuvrer à conforter cette relation de confiance. Elle contribue à la réussite économique. Ce sera l’objet d’une seconde partie.

Mais commençons par le début, un début d’avant le début de la coopération : la rencontre, la découverte, la négociation…

 

La confiance, préalable à la décision

Mais qu’est-ce que la confiance ?

Il n’y a de sens à parler de confiance que si est reconnue l’existence d’une incertitude. S’il est une chose que les investisseurs et les dirigeants partagent d’emblée, généreusement, dès leur premier contact, c’est bien le doute. Pour se donner toutes les chances d’aboutir, le capital-investisseur se doit de réduire les doutes du dirigeant. Certes, le contrat futur s’efforcera de lever les ambiguïtés, de préciser les droits et devoirs de chacun. Mais chacun le sait, les contrats sont toujours incomplets. Ils ne peuvent pas obliger les attitudes des signataires, leur bonne volonté, la profondeur et la sincérité de leur engagement. Signer un contrat, c’est faire œuvre de confiance, c’est parier sur la qualité de la coopération future qui débordera largement sa codification juridique. « À quoi ça sert de vouloir se lier à quelqu’un, si on ne prend pas le risque de lui faire confiance ? » (Marc Levy, Le voleur d’ombre).

Il convient de distinguer la confiance de compétence et la confiance intentionnelle. La confiance de compétence peut dans une large mesure procéder d’une évaluation objective (diplômes, expériences et résultats antérieurs). Mais nous sommes moins armés lorsqu’il s’agit d’étayer sa confiance dans les intentions d’autrui, dans sa volonté d’agir au mieux des intérêts communs et dans le respect de ses engagements, avec loyauté. C’est alors à la personne que nous devons faire confiance, au-delà de ses capacités identifiables, à l’homme en lui-même, fût-il une femme, un pari qui procède souvent du ressenti, et dont on espère qu’il soit payant.

L’investisseur peut faire état d’un bon nombre d’éléments objectifs, des chiffres et des références, qui argumenteront son éligibilité auprès du dirigeant. Reste encore en suspens, dans l’esprit du dirigeant circonspect qui continue de douter, la question de la confiance humaine, de la confiance personnelle.

Comment la gagner ?

La réponse est simplissime : en se présentant à une personne comme une personne digne de confiance.

Pour simplissime qu’elle soit, la réponse ne va pas de soi – mais vraiment pas de soi – dans ses implications comportementales. Reprenons-en donc les termes.

En se présentant… Pas de problèmes. Nous sommes habitués à nous présenter, et à remettre à notre vis-à-vis une carte de visite – une carte d’identité agrémentée d’informations professionnelles : fonction, titre, logo de l’entreprise, adresse postale et électronique, numéro de téléphone… des informations utiles, factuelles, objectives dirons-nous pour souligner qu’elles ne sont pas subjectives, qu’elles sont muettes sur le sujet que nous sommes, sur notre personne.

En se présentant à une personne comme une personne…

L’enjeu est bien la construction d’une confiance interpersonnelle, entre deux personnes donc, et non seulement d’une confiance professionnelle. Cela suppose que chacun rencontre et reconnaisse l’autre comme une personne à part entière. Reconnaître l’autre comme une personne, c’est le considérer dans sa singularité et sa globalité : sans le réduire ni à son rôle d’agent économique ni à sa fonction… le considérer dans son unicité donc, mais aussi comme un être doué d’intelligence, doué d’un cœur, doué d’un corps… comme un être capable d’avoir des opinions, des analyses et des idées… comme un être capable de sentiments, d’envies et d’aversions, de goût et de dégoûts…

La personne est plus que la personnalité sociale, plus que la persona. En latin, le mot persona désigne le masque porté par les acteurs de théâtre. Ces masques étaient en nombre limité (soixante-seize, dont vingt-huit pour la seule tragédie) et correspondaient à des caractères types à partir desquels les spectateurs pouvaient prévoir les comportements et les attitudes de chacun, son rôle ! Dans vos choix et vos décisions, certainement vous ne vous fiez pas aux masques. Vos interlocuteurs non plus. Impossible pour quiconque de vous faire confiance – humainement confiance – s’il ne vous rencontre pas en tant que personne, si vous ne tombez pas le masque, voire la veste.

Un des moyens pour permettre une rencontre humaine, personnelle, consiste à multiplier les épisodes d’échanges informels, voir des moments de convivialité : des temps où vous mettrez en veille votre remarquable sens des objectifs, des temps libres en somme, où vous stimulerez les conversations extérieures à votre projet financier, où vous parlerez de vous, de l’homme que vous êtes, du vin que vous dégustez, du repas que vous partagez, et même de la pluie et du beau temps… et ainsi encouragerez votre interlocuteur à lui aussi tomber le masque, à vous entretenir de ses centres d’intérêt, de sa vie en général, de lui en somme. « Ne pas pouvoir parler, affirme Christian Morel dans une interview à L’Usine Nouvelle, c’est ne pas pouvoir créer de convivialité entre les gens, pouvoir avoir ces discussions informelles et superficielles, essentielles pour créer du lien, pour trouver une personne sympathique, lui faire confiance, ce qu’on appelle le small talk en anglais ».

Dans une rencontre réellement humaine donc, chacun se révèle – se démasque ! Vous y découvrirez beaucoup de l’autre – vous avez beaucoup à y gagner – et il y découvrira beaucoup de vous – qu’avez-vous à y perdre ?

 

Peur de ne pas gagner, refus de perdre

 

Votre interlocuteur est une personne, un être humain, pas un computer. Ce serait une erreur de penser que sa décision répondra exclusivement de la rationalité. Les travaux de Daniel Kahneman (un psychologue certes, mais récompensé en 2002 du Prix Nobel… d’économie !) étudient les modes de décision de l’humain dans des situations à risques, lorsqu’il doit faire des choix dont les conséquences dépendent d’événements seulement probables. Comme votre décision d’investir ou non. La thèse qu’il défend est que la décision, en particulier lorsqu’elle est confrontée à l’incertitude, ne peut être décrite comme objectivement rationnelle notamment parce qu’elle est victime d’un biais lié à l’aversion du risque lorsque le risque concerne les gains.

Kahneman et Tversky ont multiplié des expériences où les sujets répondaient à des questions qui impliquaient un choix entre deux décisions monétaires avec des pertes et des gains potentiels.

Par exemple, on demandait à chacun de choisir une des deux options suivantes (choix 1) :

  1. un gain certain de 500 $,
  2. un jeu offrant 50 % de chances de gagner 1 000 $ et 50 % de ne rien perdre.

À une autre population, il était demandé de choisir entre deux options (choix 2) :

  1. une perte certaine de 500 $,
  2. un jeu offrant 50 % de chances de perdre 1 000 $ et 50 % de ne rien perdre.

Dans chacun de ces deux choix, l’option A évite le risque (ou la chance), et l’option B (un jeu) opte pour une probabilité, avec ses risques, ses incertitudes. Logiquement, une même personne devrait opter pour A ou pour B dans les deux choix, selon qu’elle répugne aux risques ou non.

Pourtant, dans le « choix 1 », la majorité des participants (84 %) choisissent l’option A (sans risque), mais, dans le « choix 2 », la majorité des participants (69 %) choisissent l’option B (risques et incertitudes).

La différence entre les deux choix proposés ? Le « choix 1 » évoque un gain, et le « choix 2 » une perte.

Il vaut mieux un « prend » que deux « je te donnerai » dit le proverbe espagnol… Quand ils ont obtenu un gain, les gens sont peu enclins à courir des risques, mais tendent plutôt à s’assurer d’un gain certain même en sacrifiant une chance raisonnable de gagner le double (un bon « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras »). C’est l’aversion du risque dans un contexte de gain acquis. En revanche, les mêmes personnes sont prêtes à s’engager dans des comportements à risques pour tenter d’effacer leurs pertes (aversion à la perte).

Sur les marchés financiers, l’aversion à la perte se traduit par la difficulté de se séparer d’un actif dont le prix présent est inférieur à celui où on l’avait acheté, même si cette dépréciation reflète une dégradation probablement irréversible des perspectives de cet actif. Liquider ces actifs permettrait pourtant d’investir sur d’autres, plus porteurs. Mais non. Pour justifier ses choix, l’investisseur néophyte se persuade, parfois contre toute logique, que les cours de ses actifs finiront bien par remonter. Nombreuses pourtant sont les études à conclure que l’aversion à la perte conduit généralement à une sous-performance du portefeuille. D’autant que le même investisseur, qui conserve des titres en dynamique de dépréciation, se séparera hâtivement d’autres titres dont les cours viennent de monter (aversion du risque dans un contexte de gain acquis) et qui sont pourtant prometteurs.

Mais l’humain n’est pas si rationnel, et les investisseurs sont beaucoup plus sensibles aux changements négatifs de leurs richesses (pertes) qu’aux changements positifs (gains). Ainsi, pour une forte majorité de personnes, la peur de perdre son gain conduit à une fuite des incertitudes (je vends mes actifs en hausse) alors que le refus de perdre encourage à courir des risques (je conserve mes actifs en baisse). Amusant non ? Et utile à savoir pour un capital-investisseur lorsqu’il évoque à un dirigeant un avenir probabiliste. En clair, si un dirigeant tient pour acquis que, s’il ne change rien, son entreprise va se dévaloriser (une perte certaine), il sera enclin à prendre des risques, bien plus de risques que pour se donner une chance de gagner plus.

 

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient

 

Il vaut mieux un « prend » que deux « je te donnerai »… Les promesses n’engagent que ceux qui y croient… Loin de convaincre, les promesses surabondantes suscitent bien plus la défiance que la confiance. Mais comment évoquer l’avenir sans évoquer des possibles, sans donner l’impression de faire miroiter des promesses ? Comment ? Mais en parlant du passé ! Pour parler de l’avenir et de ses promesses, rien de mieux que de parler du passé.

Par souci de simplicité, considérons une situation de recrutement. « Si vous nous rejoignez, affirme un employeur à un postulant pas très satisfait du salaire proposé, si vous nous rejoignez, vous bénéficierez d’un intéressement qui peut dépasser un treizième mois de salaire ». À coup sûr, de nombreux candidats penseront in petto qu’il préférerait un salaire mensuel un peu plus élevé à une promesse d’intéressement aléatoire (cf. l’aversion du risque mentionnée plus haut). Plutôt que d’évoquer un avenir évidemment incertain, le recruteur sera plus convaincant s’il s’en tient au factuel et se réfère au passé. « Les sept dernières années, pour chacun de nos collaborateurs, l’intéressement annuel a dépassé un treizième mois de salaire ». L’argument sera entendu. Les faits sont fiables n’est-ce pas ? À la différence des promesses, leur mention n’éveille pas la défiance.

De façon similaire, plutôt que d’évoquer des possibilités par définition aléatoires, lorsqu’il parlera de gains futurs, des résultats à espérer, le capital-investisseur gagnera à détailler comment ça s’est passé pour d’autres dirigeants qui ont antérieurement coopéré avec lui. Selon L. Quéré, il est plus aisé de faire confiance à une personne après s’être fait « une idée de sa manière habituelle de faire face à ses engagements » (« Les “dispositifs de confiance” dans l’espace public », Réseaux, 2005/4, n° 132).

 

Partie liée

 

S’ils conviennent d’un accord, s’ils signent, capital-investisseur et dirigeant dépendront dans une large mesure l’un de l’autre, bien au-delà des termes du contrat. Difficile pour une des parties d’espérer d’excellents résultats sans la contribution active de l’autre partie, sans sa bonne volonté. Ils auront partie liée. Et nul n’accepterait de se lier au premier venu. Pour l’entrepreneur, céder de son capital, c’est céder de son autonomie. La question de la confiance est décidément centrale.

Déclarer son indéfectible loyauté ne suffira pas à lever les doutes. Parfois même, et à rebours de l’objectif poursuivi, faire état de ses vertus morales avec insistance peut accentuer l’inquiétude.

Pour l’investisseur, mieux vaudra faire état sans détour des bénéfices personnels qu’il vise. Quand quelqu’un me propose ses services, voire son aide, et qu’il valorise unilatéralement ce qu’il peut m’apporter, je peux devenir méfiant, et il est rassurant de savoir ce qu’il a à y gagner, notamment financièrement, dans quelle mesure il est de son intérêt de prendre en compte mes intérêts dans ses actions et décisions. Louis Quéré propose une définition toute prosaïque de la confiance, économiste, étrangère à toute considération morale ou affective : « Faire confiance c’est croire que quelqu’un est digne de confiance et agir en conséquence, parce que l’on connaît ses intérêts et que l’on sait ce qui le motivera à se montrer digne de confiance ou à être loyal » (« Les “dispositifs de confiance” dans l’espace public », Réseaux, 2005/4, n° 132).

Au fond, il ne s’agit de rien d’autre que de démontrer que les intérêts des deux parties seront largement convergents, voire liés – et c’est une réalité.

Encore faut-il que les intérêts respectifs ne soient pas perçus comme disproportionnés.

Peut-être connaissez-vous le jeu de l’ultimatum ? Nous devons ce jeu à des gens très sérieux (John Gale, Kenneth B. Binmore et Larry Samuelson, « Learning To Be Imperfect : The Ultimatum Game »), des chercheurs en économie expérimentale qui l’ont imaginé au début des années 80 pour étudier la phase ultime d’un processus de négociation dans laquelle l’un des participants fait une offre “à prendre ou à laisser”, un ultimatum donc.

L’expérience réunit deux joueurs. Chacun est informé qu’il recevra à la fin de la session expérimentale le montant des gains qu’il aura accumulés. Un joueur (le donateur) se voit attribuer une somme de 10 €, et doit décider d’un partage : la part qu’il garde pour lui et la part qu’il donne à un second joueur (le receveur). Si le receveur accepte le partage, il est validé, et chacun reçoit sa part convenue ; sinon aucun des deux joueurs ne reçoit d’argent. Le comportement rationnel pour le receveur est d’accepter n’importe quel partage – c’est toujours mieux que rien. Or 60 % des receveurs refusent le partage si l’offre est inférieure ou égale de à 20 % de la somme en jeu. Sans doute jugent-ils cette offre désobligeante, dévalorisante, voire méprisante… Rien n’est plus irrationnel et pourtant déterminant que les blessures d’amour propre. Prenons-y garde.

 

Partenaires

 

La phase d’étude et de négociation terminée, après l’accord, c’est certain, vous agirez en partenaire loyal avec le dirigeant. D’ailleurs, à vos yeux, lui et vous, vous êtes déjà partenaires… Ça va sans dire, moins bien en le disant, mieux en le manifestant.

Être partenaires, c’est partager des intérêts communs, c’est être côte à côte pour étudier les situations ou problèmes et trouver ensemble les meilleures solutions ou les meilleures pratiques, pour construire un plan d’action approfondi.

Avant un éventuel accord, il est des moments où vous êtes en négociation, face à face : comme pour un bras de fer. D’autres moments sont consacrés à l’étude du projet. Les intérêts de tous sont alors largement convergents : déjà celui de ne pas prendre une décision qui serait mauvaise pour l’un et pour l’autre, et celui d’identifier toutes les conditions d’un succès futur. Pour manifester physiquement que vous et votre interlocuteur êtes alors partenaires, ne manquez pas une occasion de vous asseoir à ses côtés, et non en face de lui, à ses côtés par exemple pour étudier ensemble un même document. Ce côte à côte” physique, en rupture avec le face-à-face de la négociation, lui donnera à vivre votre solidarité effective : ses attitudes et sa manière de penser en seront étonnamment transformées, et les vôtres aussi. Essayez. Vous verrez. La position en vis-à-vis induit une dynamique de négociation où les intérêts sont opposés, la position côte à côte induit une dynamique de partenariat, on regarde dans la même direction, on est orienté vers le même objectif.

 

Vous donner tous les moyens de réussir

 

Soucieux de vous donner tous les moyens de réussir, de prendre la bonne décision, peut-être avez-vous sollicité nos compétences spécifiques pour évaluer les potentiels du dirigeant en place et ceux de l’équipe de direction (de son premier cercle). Par-delà leurs résultats passés, vous teniez à vous assurer de leur capacité à porter un projet de développement repensé, peut-être une nouvelle stratégie ou organisation…

Ça peut surprendre, pourtant, toute notre expérience le prouve, votre interlocuteur, le dirigeant et ceux qui l’entourent, porteront à votre crédit cette démarche : vous prenez les choses très au sérieux, vous mobilisez tous les moyens utiles à la réussite de tous, vous prenez la juste mesure de la dimension humaine de toute entreprise économique, vous n’engagez pas à la légère vos partenaires dans une aventure à l’issue incertaine, vous savez vous entourer d’experts compétents… bref, vous vous montrez digne de confiance.

Contactez-nous
shape
shape