Journal confiné – Jour 45 : Vos valeurs pulvérisées…

Billets d'humeur

30 avril 2020

Par Stephane Chekroun – Associé chez Selescope
Jeudi 30 avril 2020

 

53 piges… Aujourd’hui, Je fête mon anniversaire. Je me vis un peu comme un rescapé. Et tout heureux de l’être. Mais pas longtemps. L’anxiété s’infiltre déjà. Et si c’était mon dernier anniversaire ? La question rôde, furtive, sournoise. Je ne veux pas m’y arrêter. Pas gâcher ce jour de fête familiale. N’empêche… En moi comme en chacun, le sentiment de ma vulnérabilité est plus insistant. Il corrode ma façon de réfléchir, de penser, ma façon de vivre le présent et celle d’envisager l’avenir…

Nous la tenions éloignée dans nos cimetières périphériques, à sa place, mais aujourd’hui, chacun vit dans une plus grande familiarité de la mort. Pas seulement un décor, mais un personnage, et pas des plus secondaires.

Les perspectives en sont altérées, nos valeurs bousculées, nos motivations aussi.

Je pense au déconfinement prochain. Je m’en réjouis. Mon agenda est déjà bien fourni. Une satisfaction mêlée de crainte. Vivre, ce serait donc prendre des risques ?

Foi d’hypocondriaque, je respecterai tous les “gestes barrière”, scrupuleusement. Je m’imagine comme un lapin à la sortie de son terrier. Sortir serait s’exposer. Comment mon amour de mon métier y résistera-t-il ?

Chacun connaît la pyramide des besoins d’Abraham Maslow. Moi, bien sûr, comme vous, j’évoluais en altitude, proche du sommet de cette pyramide, besoins d’accomplissement personnel, besoins sociaux d’appartenance et d’affection, besoins d’estime et de reconnaissance… très au surplomb des besoins primaires : besoins physiologiques au plus bas, besoin de sécurité à peine au-dessus. Quelle chute !

Le besoin de sécurité primera-t-il désormais sur tout le reste ? Ou le basique instinct de survie du plus fruste des animaux ? Vais-je finir par ramper ?

Un ami africain me rassure.

Je vis parmi des populations des plus démunies, témoigne-t-il. Des blancs traversent régulièrement le village dans leurs 4×4 satisfaits. À l’occasion d’une halte pressée, ces voyageurs s’offusquent régulièrement. « Regardez-les ces gens misérables, ils n’ont même pas de quoi manger et ils dépensent sans compter pour s’acheter un boubou pour la fête du ramadan ». Les femmes indigènes en culpabilisent. Je ne vais pas laisser faire. Je leur explique. « Ce n’est pas parce que vous êtes pauvres que vous êtes seulement des animaux. Même si vous n’êtes pas assurées de manger demain, vous ne vivez pas seulement pour bouffer. Vous êtes des humains ». C’est comme ça. Même les plus nécessiteux nourrissent des aspirations supérieures. Même dans un dénuement extrême, les femmes de mon village sacrifient fièrement les besoins primaires aux besoins supérieurs : besoin d’estime et de reconnaissance, besoin d’appartenance… Porter un boubou haut en couleur, c’est prendre sa place dans la communauté villageoise. Nul humain n’est condamné à vivre au ras de ses besoins élémentaires.

Ouf ! Nous aussi, nous ne chuterons pas au pied de la pyramide. Sans doute notre besoin de sécurité sera-t-il pour longtemps plus vif, mais nous n’y sacrifierons pas nos motivations supérieures. Ce qui nous fait humains… humains et résiliants.

 

 

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